Administrer des gènes

Pharmacologie

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Comme l’affirme Inder Verma, biologiste à l’institut Salk à San Diego, en thérapie génique, il n’y a que trois difficultés : l’administration, encore l’administration et toujours l’administration ! La thérapie génique impose d’« importer » de nouveaux gènes dans les cellules de l’organisme. Pour introduire ces gènes, on doit condenser l’ADN correspondant dans de petits « sacs » qui peuvent être engloutis par les cellules. De surcroît, le gène thérapeutique doit être protégé des enzymes destructrices présentes dans les cellules, être conduit dans le noyau et être libéré sous une forme active. Pour ce faire, les généticiens ont utilisé des virus qui, chevaux de Troie, introduisent les gènes voulus dans les cellules cibles. Toutefois, des virus rendus aussi inoffensifs que possible ne sont pas totalement dénués de risques : un volontaire prenant part à un essai de thérapie génique est décédé en 1999.

Les généticiens continuent à étudier les vecteurs viraux pour mieux comprendre leur fonctionnement et réduire les risques qui y sont liés, mais, simultanément, ils recherchent des vecteurs non viraux, tels des polymères ou des lipides. À Châtenay-Malabry, dans l’unité UMR-CNRS 8612, les équipes de Patrick Couvreur et d’Elias Fattai ont réussi à véhiculer à l’aide de nanocapsules à contenu aqueux des fragments de gènes, nommés oligonucléotides antisens, qui bloquent l’expression de gènes responsables de cancers. Dans le laboratoire de Claude Malvy, à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif, ces nanovecteurs ont permis d’améliorer le traitement du sarcome d’Ewing (une tumeur osseuse) chez la souris.

L’équipe de Jean-Paul Behr, dans l’Unité UMR-CNRS 7034, à Illkirch, a été parmi les premières à utiliser avec succès des polymères cationiques (chargés positivement), telle la polyéthylènimine, pour le transfert de gènes. Mark Davis, de l’Institut de technologie de Californie, a mis au point des polymères cationiques nommés B-cyclodextrines. Ces molécules sont relativement peu toxiques, ne déclenchent pas de réaction de rejet et sont solubles dans l’eau. Il avait l’intention d’emballer l’ADN thérapeutique dans des nanoparticules de B-cyclodextrines, mais les études sur l’animal révélèrent que l’édifice n’était pas stable. Il a alors modifié la surface des particules de polymère eu y ajoutant du polyéthylène glycol conjugué à de l’adamantane. Les nanoparticules ainsi formées et contenant l’ADN ne s’agrègent plus aux protéines du sang, comme c’était le cas auparavant. En tapissant ainsi la surface des particules de B-cyclodextrines, l’équipe californienne a obtenu des « crochets chimiques » qui harponnent d’autres molécules capables de les conduire jusqu’à des cellules spécifiques où les gènes sont délivrés. Ce dispositif de distribution de gènes est en cours d’évaluation dans le traitement de certains cancers et de maladies du foie.

David Lyrin, de l’Université du Wisconsin-Madison, a étudié une autre voie possible : il a synthétisé des centaines de polymères cationiques biodégradables, des polyaminoesters. Des tests de criblage ont servi à l’identification des polymères qui se lient facilement à l’ADN, sont solubles dans le sang et pénètrent facilement dans les cellules. Les biologistes ont ainsi identifié plusieurs polymères qui transfectent les cellules plus efficacement que les vecteurs non viraux classiques, telles 1 lipofectamine et la polyéthylènimine.

Citons un autre exemple, celui de la banque de peptoïdes de Fred Cohen, à l’Université de San Francisco. L’équipe a synthétisé une nouvelle classe de polymères nommés peptoïdes, ou plus exactement oligomères cationiques de glycine Nsubstituée. Certains d’entre eux condensent l’ADN en structures de 50 à 100 nanomètres capables de transfecter les cellules.

Les lipides sont également utiles dans les thérapies géniques. Sung Wan Kim, de l’Université de l’Utah, emballe le gène d’intérêt dans une gaine de stéaryle-polylysine, elle-même recouverte d’une lipoprotéine de faible densité. Lors de travaux effectués sur des lapins, S. Kim et ses collègues ont utilisé ce dispositif de distribution pour introduire le gène du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) dans le tissu cardiaque d’animaux souffrant d’ischémie (un manque d’oxygène qui peut se produire quand des vaisseaux sanguins sont obstrués). Des essais sur des personnes souffrant d’ischémie cardiaque sont prévus l’année prochaine. On espère que le gène codant ce facteur de croissance déclenchera la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, qui apporteront l’oxygène et les nutriments vitaux aux zones du muscle cardiaque qui en manquent.