Qu'est-ce que l'autodétermination?

Les antécédents historiques du mouvement auto-déterministe pour les personnes ayant des incapacités se trouvent dans les mouvements pour la normalisation, la vie autonome, les droits et la défense des personnes ayant des incapacités, ainsi que dans les mesures de protection garantissant l'égalité des chances pour les personnes ayant des incapacités datant tous de la fin du 20e siècle. Les origines du concept datent toutefois des premières discussions en philosophie et en psychologie à propos du déterminisme et du libre arbitre. Le déterminisme est la doctrine philosophique selon laquelle les évènements, comme les actions humaines, sont liés et déterminés par la chaîne des évènements antérieurs.

Cet accent mis au départ en philosophie a continué d'exister en théorie dans le domaine de la psychologie de la personnalité dans la première portion du 20e siècle. L'autodétermination, comme l'ont proposé des théoriciens de la psychologie de cette époque, est un construit psychologique général au sein d'une structure organisée de théories sur le comportement agentique humain. Une personne en état agentique est « à l'origine de ses actions, a de grandes aspirations, persévère en présence d'obstacles, perçoit une plus vaste gamme d'options pour passer à l'action, apprend de ses erreurs, et surtout, a un sentiment de bien-être accru » (Wehmeyer et Little, actuellement sous presse). Les théories du comportement agentique humain sont de nature organismique en ce sens qu'elles perçoivent les personnes comme des participants actifs à leurs propres actions ou comme les auteurs de celles-ci, actions qui sont autodirigées et orientées vers un objectif. Ces actions sont conditionnées par des besoins biologiques et psychologiques, dirigées vers des objectifs autodirigés liés à ces besoins, favorisent l'auto-gouvernance du comportement et nécessitent que l'on mette un accent explicite sur l'interface entre le soi et le contexte. L'autodétermination en tant que construit psychologique se rapporte alors à des actions « auto-nomes » (contrairement aux actions « hétéro-nomes »), à des personnes agissant de façon volontaire, selon leur propre volonté. La volition est l'aptitude au choix, à la décision et à l'intention prise de façon consciente. Le comportement autodéterminé est une action volitive, intentionnelle, causée ou initiée par la personne elle-même.

L'application la plus visible de l'autodétermination en tant que concept psychologique est la théorie de l'autodétermination (TAD; Deci et Ryan 2002) qui propose une explication des facettes de la personnalité et de l'autorégulation du comportement par le biais d'interactions entre des facteurs déterminants congénitaux et environnementaux au sein des contextes sociaux (Ryan et Deci 2000). La TAD propose trois besoins psychologiques élémentaires, la compétence, l'autonomie et la parenté, qui sont soit soutenus ou remis en question dans des contextes sociaux. Une bonne partie de la recherche issue de la TAD se concentre sur la manière dont l'environnement social crée des obstacles à l'intégration de ces besoins psychologiques (Ryan et Deci 2002). Le contexte contribue également aux mobiles intrinsèques et extrinsèques qui sont autorégulés tant au niveau conscient qu'inconscient.

Dans la TAD, le besoin psychologique inhérent à la compétence se rapporte au désir d'être efficace dans des environnements précis. Le besoin psychologique lié à la parenté est le sentiment de connexion et d'appartenance avec les autres. Par conséquent, la TAD constitue une perspective importante permettant de comprendre les éléments motivationnels en cause qui pourraient inhiber ou promouvoir des incidences de réadaptation plus favorables.

Plusieurs modèles théoriques ont émergé au sein du corpus de littérature sur le handicap mettant davantage l'accent sur l'action autodéterminée et sa promotion plutôt que sur l'élément motivationnel. À l'instar de la TAD, ces modèles considèrent l'autodétermination dans le cadre d'une perspective organismique et agentique. Wehmeyer et ses collaborateurs (Wehmeyer et coll. 2003), par exemple, ont proposé une théorie fonctionnelle de l'autodétermination dans laquelle elle est conceptualisée comme étant un mode de disposition (tendances persistantes utilisées pour caractériser et décrire les différences entre les personnes) fondée sur la fonction qu'un comportement remplit chez un individu. Un comportement autodéterminé se rapporte aux « actions volontaires qui permettent à quelqu'un d'agir en tant qu'agent causal principal dans sa vie ou de maintenir sa qualité de vie » (Wehmeyer 2005, p. 117). Le concept d'agent causal constitue le centre de cette perspective. En gros, l'agent causal sous-entend que c'est la personne qui fait ou qui cause les évènements survenant dans sa vie. L'agent causal sous-entend plus que la simple cause de l'action; il laisse entendre que la personne agit avec l'intention de causer un effet pour atteindre un objectif spécifique afin de provoquer ou de créer un changement.

Selon cette théorie, on identifie les actions autodéterminées selon quatre caractérisques essentielles:

  1. la personne agit de manière autonome
  2. le comportement est autorégulé
  3. la personne initie et réagit aux évènements d'une manière autonome sur le plan psychologique; et
  4. la personne agit d'une manière autoréalisée

Ces caractéristiques essentielles ne se rapportent pas au comportement exercé, mais bien à la fonction que le comportement remplit pour la personne; c'est-à-dire, si l'action a permis à la personne d'agir en tant qu'agent causal.

L'utilisation de la théorie de l'autonomie comportementale est tirée de deux sources: l'autonomie étant synonyme d'individuation et l'autonomie étant plus ou moins synonyme d'indépendance. Les psychologues du développement voient le processus d'individuation, ou la formation de l'identité individuelle de la personne, comme un élément essentiel du développement social et de la personnalité. L'individuation est, en général, une évolution de l'état où l'on dépend des autres pour les soins à l'orientation vers l'autonomie en matière de soins et à l'auto-gérance, dont le résultat est le fonctionnement autonome ou l'autonomie comportementale.

L'autorégulation est « un système complexe de réponse qui permet aux personnes d'examiner leur environnement et son répertoire de réponses afin de s'y adapter pour décider de la manière d'agir, d'entreprendre une action, d'évaluer la désirabilité des résultats de l'action et de réviser leurs plans au besoin » (Whitman 1990; p. 373). Zimmerman et Rappaport (1988) ont approfondi le concept de l'autonomisation psychologique pour tenir compte de la nature multidimensionnelle du contrôle perçu qui, selon les auteurs, avait été traité auparavant comme s'il s'agissait d'un construit unidimensionnel. Par le biais du processus d'apprentissage, et en utilisant des aptitudes à la résolution de problèmes et en exerçant un contrôle perçu ou réel dans la vie d'une personne (ex. : optimisme acquis), les individus développent une perception de l'autonomisation psychologique qui leur permet d'atteindre les résultats souhaités.

Le terme « autoréalisation » était utilisé à l'origine par les psychologues gestaltistes pour désigner l'objectif intrinsèque dans la vie d'une personne. Il a également une signification plus englobante liée à la « tendance à bâtir le cours de sa vie de sorte d'en faire un tout significatif » (Angyal 1941, p. 355). Les personnes autodéterminées se réalisent elles-mêmes en ce sens qu'elles utilisent une connaissance complète et raisonnablement exacte d'elles-mêmes—leurs forces et leurs limites—afin d'agir de manière à profiter de cette connaissance. Cette connaissance et cette compréhension de soi se forment par l'entremise de l'expérience acquise dans son environnement et de l'interprétation que l'on en fait, et elle est influencée par les évaluations des proches, le renforcement et l'identification à son propre comportement.

Le premier sujet d'étude de la théorie fonctionnelle portaient sur les personnes ayant une déficience intellectuelle, bien que la théorie elle-même ne soit pas spécifique des personnes ayant des incapacités. Dans un autre modèle théorique inspiré de la recherche en éducation spécialisée, Mithaug (Wehmeyer et coll. 2003) laisse entendre que l'autodétermination est une forme exceptionnellement efficace d'autorégulation dans laquelle les personnes autodéterminées gèrent leurs choix et leurs actions avec plus de succès que les autres. Mithaug laisse également entendre que les individus sont souvent en fluctuation entre des états existants et un objectif ou des états souhaités. Lorsqu'une incohérence existe entre ce que quelqu'un possède et ce qu'il désire, un facteur incitatif à l'autorégulation et à l'action entre en fonction. En étant conscient de l'existence d'une incohérence, l'individu peut entreprendre la réalisation de son objectif ou de ses états désirés. Cependant, en raison d'antécédents d'échec, les individus peuvent se fixer des attentes trop faibles ou trop élevées. La capacité de se fixer des attentes appropriées est fondée sur la réussite de l'individu à faire correspondre sa capacité avec l'occasion présente. La capacité est l'évaluation des ressources existantes de la personne (ex.: aptitudes, intérêts, motivation) et l'occasion désigne des aspects de la situation qui permettent à l'individu de réaliser le gain désiré. Mithaug désignait les perspectives optimales comme des correspondances « compatibles » dans lesquelles les individus sont capables de faire correspondre leur capacité (aptitudes, intérêts) avec les occasions existantes (emplois éventuels). L'expérience générée durant le processus d'autorégulation est une fonction d'interactions répétées entre la capacité et l'occasion.

Mithaug (1998) a remarqué que l' « autodétermination se produit toujours dans un contexte social » (p. 42) et laisse entendre que « la nature sociale de ce concept vaut la peine d'être examiné parce que la distinction entre l'autodétermination et l' « hétérodétermination » est presque toujours en jeu lorsque l'on évalue les perspectives de contrôle sur la vie d'un individu dans une situation particulière » (p. 42).

Wehmeyer et Mithaug (2006) ont proposé la théorie de l'agent causal (TAC) pour expliquer comment et pourquoi les personnes deviennent autodéterminées plutôt qu'hétéro-déterminées. Wehmeyer et Mithaug désignent la « classe d'évènements comportementaux » que la TAC explique comme étant des évènements causaux, des comportements causaux, ou des actions causales. Ceux-ci fonctionnent comme des moyens pour une personne (l'agent causal) de réaliser des objectifs valorisants et, finalement, de devenir plus autodéterminée. La théorie de l'agent causal propose un nombre d'« opérateurs » qui dirigent le comportement autodéterminé. Ces opérateurs comprennent la capacité d'exécuter des actions ou des comportements causaux, subdivisée en capacités causales et agentiques. Les personnes sont « poussées » à mettre en œuvre des capacités causales et agentiques en réaction aux enjeux servant de catalyseurs du comportement causal. Les actions causales sont provoquées par deux classes d'enjeux à l'autodétermination : des occasions ou des menaces. L'occasion désigne les situations ou les circonstances qui fournissent à la personne des chances de créer le changement ou de faire en sorte que quelque chose se produise en fonction de sa capacité causale. Si une personne a la capacité causale d'influencer une situation ou une circonstance, celle-ci peut être interprétée comme une occasion. Les occasions se « trouvent » (imprévues, se produisent sans déploiement d'efforts de son propre chef) ou « créées » (la personne agit pour créer une circonstance favorable). La condition du second enjeu comprend des situations ou des circonstances qui menacent l'autodétermination de l'organisme et force l'organisme à exercer une action causale pour maintenir un résultat souhaité ou créer un changement qui correspond aux valeurs, aux préférences ou aux intérêts d'un individu, et non aux valeurs, préférences et intérêts d'autrui. Un troisième opérateur dans la théorie de l'agent causal est l'affect causal: ces émotions, sentiments et autres composantes affectives qui contrôlent le comportement humain, y compris les comportements causaux.

Les personnes qui sont des agents causaux répondent à des enjeux (occasions ou menaces) à leur autodétermination en employant des capacités causales et agentiques qui résultent de l'action causale et leur permettent d'orienter leur comportement afin de réaliser un changement souhaité pour que se maintienne une circonstance ou une situation préférée. En réponse aux enjeux, les agents causaux utilisent un processus de génération d'objectifs entrainant l'identification et la priorisation des actions nécessaires. La personne encadre l'action nécessaire la plus urgente en matière d'état final et s'engage dans une analyse des incohérences des objectifs afin de comparer l'état actuel et l'état final. Le résultat de cette analyse est un problème d'incohérence des objectifs qui sera résolu. La personne s'engage alors dans une analyse des incohérences entre les capacités et les enjeux dans laquelle la capacité à résoudre le problème d'incohérence des objectifs est évaluée. La personne maximise l'ajustement de sa capacité (ex.: acquérir de nouvelles aptitudes ou perfectionner les aptitudes et les connaissances existantes) ou adapte l'enjeu présenté pour créer une « correspondance compatible » entre la capacité et l'enjeu afin d'optimiser la probabilité de résoudre le problème d'incohérence des objectifs.

Ensuite, la personne établit un plan de réduction des incohérences en fixant des attentes causales, en effectuant des choix et en prenant des décisions relatives aux stratégies pour réduire l'incohérence entre l'état actuel et l'état final. Lorsque suffisamment de temps s'est écoulé, la personne s'engage dans une seconde analyse de l'incohérence des objectifs, en utilisant l'information recueillie par le biais du contrôle de soi afin d'autoévaluer ses progrès dans la réduction de l'incohérence entre les états actuel et final. Si les progrès sont satisfaisants, elle continuera de mettre en œuvre son plan de réduction des incohérences. Sinon, la personne reconsidère son plan de réduction des incohérences et le modifie, ou encore retourne au processus de génération d'objectifs afin de réexaminer ses objectifs et ses priorités et, possiblement, chemine à travers le processus avec un nouvel objectif ou un objectif modifié.